"Mais nous, on n'assure plus pour ce genre de choses..." C'est en gros la désagréable surprise qu'a eue un lecteur luxembourgeois, lisant un avenant à son contrat d'assurance maladie souscrite auprès de la compagnie DKV, qu'elle lui a récemment fait parvenir. Voici une copie de ce document (surlignage par mes soins) :
L'obligation de prestation pour "les dommages dus au rayonnement ou à l'énergie nucléaire" est ainsi devenue caduque. Au motif, selon une discussion entre une personne de cette compagnie d'assurance et mon lecteur, "qu'il n'est pas envisageable de rembourser tout le monde en cas de catastrophe à Cattenom par exemple".
Rappelons en effet que la centrale française de Cattenom est à proximité immédiate du Grand Duché du Luxembourg, dont 75% de la population vit dans une portion d'un périmètre de 25 km autour de la centrale.
Alors, "coup de pression" vers l'opinion publique, venant appuyer les demandes de fermeture de la centrale de Cattenom émises de longue date par le Luxembourg et l'Allemagne voisine vu sa dangerosité ? Ou simple exemple d'une démarche globale appelée à s'étendre, vu l'impossibilité de fait de couvrir les risques et dommages engendrés par un accident nucléaire d'importance ?
On sait en effet que l'industrie du nucléaire fait pratiquement "rouler sans assurance" toutes ses installations à risques, vu l'impossibilité de trouver une compagnie acceptant de prendre en charge les risques afférents et capable d'indemniser les dommages incalculables causés par un accident nucléaire d'envergure.
Mais maintenant, ce sont de simples particuliers comme vous et moi qui se retrouvent encore plus démunis devant la menace radioactive, dont l'impact sur leur santé n'est parfois plus considéré par leur assurance.
Renseignements pris auprès de quelques membres des "veilleurs", il semble que souvent, il ne soit pas fait mention du risque nucléaire dans les contrats d'assurance santé. Par contre, les assurances habitation semblent couvrir ce risque, à condition que l'état de "catastrophe technologique" soit officiellement décrété par le gouvernement.
Et si vous alliez vérifier vos contrats d'assurance ?
La radioactivité rend les gens invisibles. Nous savons que l'exposition aux rayonnements peut
être néfaste pour la santé, qu'elle peut provoquer la maladie ou même la mort
si on reçoit de fortes doses. Mais elle fait plus que cela. Les gens qui
ont été exposés à des radiations, ou même ceux qui soupçonnent qu'ils ont été
exposés à des rayonnements ionisants et qui n'ont jamais ressenti les symptômes
des maladies liées à la radioactivité, peuvent éprouver que leurs existences en
sont modifiées à jamais - qu'ils sont en quelque sorte devenus des citoyens de
seconde classe. Ils peuvent constater que les liens avec leurs familles,
leurs communautés, leurs villes natales, leurs régimes alimentaires habituels
et même leurs savoirs traditionnels sont brisés. Ils passent généralement le
reste de leur vie à souhaiter pouvoir revenir en arrière, que les choses
redeviennent normales. Ils se rendent compte peu à peu qu'ils sont devenus
sacrifiables, et que leur gouvernement et même leur société ne sont plus
investis dans leur bien-être.
En tant qu'historien des
aspects socioculturels des technologies nucléaires, j'ai passé des années à
travailler dans les communautés touchées par la radioactivité à travers le
monde. Beaucoup de ces personnes ont subi une exposition aux radiations issues
d'essais ou de la production d'armes nucléaires, d'accidents
de centrales nucléaires, de la production d'énergie nucléaire ou du stockage
[des déchets], ou comme les gens de la communauté où je vis, Hiroshima, qui ont été
soumis à une attaque nucléaire directe. Pendant les cinq dernières années, j'ai
travaillé avec le Dr Mick Broderick, de l'Université Murdoch à Perth en
Australie, sur le Global Hibakusha Project [Projet Mondial Hibakusha]. Nous
avons travaillé dans les communautés touchées par la radioactivité dans le
monde entier. Notre recherche nous a fait découvrir une forte continuité dans
le vécu de l'exposition aux radiations d'un large éventail de cultures, de
géographies et de populations. À peu près à mi-chemin entre le début de cette
étude et le moment présent, la catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi s'est
produite ici au Japon. Une des choses les plus pénibles (parmi tant d'autres)
depuis le début de la crise, c'est d'entendre tant de gens, souvent des
personnes influentes détenant un pouvoir politique, dire que l'avenir des
personnes touchées par la catastrophe nucléaire est incertain. Je souhaite que
ce soit le cas, mais il y a en fait de lourds précédents historiques qui
suggèrent que l'avenir des populations du Tohoku est prévisible.
Dans ce court article, je
vais décrire certaines continuités dans l'expérience des personnes affectées
par la radioactivité. La plupart des énoncés suivants sont également vrais pour
les personnes qui pensent simplement qu'ils ont été exposés à des radiations,
même si elles ne souffrent d'aucune atteinte à leur santé. Beaucoup ont déjà
partagé le sort des personnes touchées par la catastrophe de Fukushima. Il y a,
bien sûr, de nombreuses différences et des spécificités à chaque communauté,
mais il y a aussi beaucoup de similitudes.
Une victime Rongelapaise de l'essai Bravo en 1954 tirée d'une publication du gouvernement américain
Maladie et mortalité - La
maladie et même la mort sont les résultats de l'exposition aux radiations auxquels
les gens s'attendent. Il est important de savoir qu'il y a beaucoup de façons
différentes de tomber malade après une exposition à la radioactivité. Quand les
gens sont exposés à des niveaux élevés de rayonnement gamma, ils peuvent
souffrir du syndrome d'irradiation aiguë et la mort peut survenir en quelques
jours, semaines ou mois. Des dizaines de milliers de personnes sont mortes du
syndrome d'irradiation aiguë à Hiroshima et Nagasaki après avoir survécu aux
attaques nucléaires. Une arme nucléaire génère une très forte mais très brève émission
de rayons gamma, et si l'ensemble du corps est exposé à des niveaux élevés, cela
peut conduire à la maladie et à la mort relativement rapidement. Pour ceux qui
ne sont pas proches d'une explosion d'arme atomique, ou à courte distance
d'une catastrophe comme Tchernobyl ou Fukushima, la maladie est souvent le
résultat de l'incorporation de particules émettrices de rayonnement alpha. Lors
des explosions nucléaires, il s'agit des "retombées". Dans le cas de
Tchernobyl et de Fukushima elles ont couvert de vastes surfaces lorsque les
nuages des explosions sont redescendus sur terre. Les particules émettrices alpha
ne peuvent pas pénétrer la peau comme le font les rayons gamma, mais sont
plutôt absorbées par inhalation ou ingestion, ou par des coupures de l'épiderme.
Ces particules ne dégagent pas une grande quantité de rayonnement, mais si elles
se logent dans le corps, elles continueront d'exposer un petit nombre de cellules
24 heures par jour, souvent pour le restant de la vie d'une personne. Cela peut
entraîner des cancers et des troubles immunitaires qui se développent plus tard
dans l'existence, parfois quelques années, parfois après une ou plusieurs
décennies. Depuis que les panaches des trois explosions à Fukushima ont déposés
de grandes quantités d'émetteurs alpha sur un vaste périmètre, c'est devenu le
principal danger pour les personnes vivant dans les zones contaminées. Il est
malhonnête que les apologistes de l'industrie nucléaire disent des choses comme
"aucun mort à Fukushima", car ils sont bien conscients que pour la
plupart des gens qui finiront par tomber malades, ce processus prendra du
temps. Nous sommes actuellement dans la période de latence de ces maladies, un
point dont profitent les services de relations publiques de l'industrie du nucléaire.
Une décoration murale dans
l'Hôtel de Ville de Bikini, atoll de Majuro, dans les îles Marshall, construit à l'aide de grues de papier pliées.
Pertes
d'habitations, communauté et identité - Les zones qui connaissent la
contamination radioactive doivent souvent être abandonnées par ceux qui y vivent.
Les niveaux de radiations peuvent être suffisamment élevés pour que la
résidence continue puisse y être dangereuse pour la santé. Dans ces cas, les gens
perdent leurs maisons, les foyers traditionnels qui peuvent souvent avoir été
les résidences principales pour des familles regroupant plusieurs générations. L'identité
peut alors être profondément liée à la maison et à la terre qui l'entoure.
Pour les communautés qui doivent être abandonnées, ces liens qui ont été
construits et qui maintiennent le bien-être de la communauté sont désintégrés.
Les amis sont séparés, les familles étendues sont souvent disloquées, et les
écoles sont fermées. Les gens qui ont vécu au même endroit toute leur vie ont à
prendre un nouveau départ, quelquefois à un âge avancé, ainsi parfois que les
enfants, et perdent les structures communes qui les ont soutenus : les
commerçants qui les connaissent, les voisins sur qui compter, la simple familiarité que nous tirons d'être
connu et de connaître notre entourage.
Qu'est-ce qui est perdu quand une
personne ne peut plus manger une pomme d'un arbre planté par ses parents ou
grands-parents ? Avec la perte de leur communauté, beaucoup de gens perdent
leur moyen de subsistance. C'est particulièrement vrai dans les endroits
les moins industrialisés, où de nombreuses personnes ont été agriculteurs,
pêcheurs ou éleveurs depuis des générations. Quand quelqu'un qui a seulement
connu l'agriculture est arraché à la terre dont il a pris soin, quand quelqu'un
qui est pêcheur ne peut plus pêcher dans les zones où ils comprend les rythmes
naturels et les habitudes des poissons, il peut leur être impossible de
recommencer quelque chose [ailleurs]. Souvent, ces gens sont obligés d'entrer dans des situations
de servitude ou deviennent dépendants des subventions de l'état, ce qui érode davantage
leur estime d'eux-mêmes et leur bien-être. Habituellement, ceux retirés de leur
terre en raison de la contamination sont placés dans des logements temporaires.
Dans presque tous les cas, ce logement n'est pas temporaire, mais devient
permanent. Comme il est d'abord destiné à être temporaire, il est
souvent de très mauvaise qualité et exigu. Il peut devenir impossible pour les
familles dont plusieurs générations se sont côtoyées pendant des décennies de
rester ensemble. Cela peut priver de soins les personnes âgées, supprimer la
garde des enfants pour les jeunes familles, et miner le maintien de l'identité,
des connaissances et du soutien familial. L'arrachement à la terre est
également accompagné de la perte d'un régime alimentaire traditionnel. Ceux qui
n'ont pas accès aux terres et aux mers qui ont fourni de la nourriture à leurs
familles pendant des générations entament souvent un parcours vers la maladie,
favorisée par un nouveau régime alimentaire composé d'aliments transformés.
Dans certaines communautés, comme les petits villages autour de l'ancien site
soviétique d'essais nucléaires du Kazakhstan, les gens continuent tout simplement
à vivre dans des maisons dangereusement contaminées. L'état responsable de leur
exposition n'existe plus et aucun gouvernement ne se sent responsable de devoir
les évacuer. Ils vivent une vie très traditionnelle et la plupart de leur
nourriture provient de leurs propres jardins et du bétail élevé sur leurs
terres contaminées. Beaucoup des radionucléides à vie longue se recyclent simplement
à travers cet écosystème et ceux qui vivent ici peuvent être contaminés et
recontaminés sur plusieurs générations.
Une parcelle agricole expérimentale située dans le polygone du site d'essais nucléaires au Kazakhstan
Perte des connaissances traditionnelles - Dans certains endroits reculés, la survie dépend d'une
compréhension de la terre datant de plusieurs siècles. En Australie, les zones
où les Britanniques ont mené des essais nucléaires dans l'outback sont des
endroits très difficiles à vivre. Les communautés traditionnelles dans ces contrées
ont souvent des chansons qui recèlent et transmettent les connaissances
essentielles sur la façon de survivre dans un environnement aussi hostile,
comme où trouver de l'eau, quand chasser certains animaux spécifiques, quand se
déplacer vers différentes zones. Lorsque les Britanniques les ont déménagés pour
vivre dans des zones à des centaines de kilomètres de leurs maisons
traditionnelles, ces connaissances ont été brisées. Il est devenu impossible
pour la population de réfugiés de survivre selon leur mode de vie traditionnel
dans des zones où ils n'avaient aucune connaissance des rythmes de la terre et
des animaux. Cet enlèvement à leurs terres traditionnelles les a rapidement rendus
dépendants de l'aide gouvernementale, et les a coupés de ce qui avait été un
millénaire d'autonomie. Cela a causé l'érosion de la communauté, du bien-être
personnel et familial.
Discrimination
- Les populations qui pourraient avoir été exposées à des radiations souffrent
habituellement de discrimination dans leurs nouvelles résidences et deviennent
souvent des parias sociaux. Nous avons d'abord vu cette dynamique avec les
hibakusha [victimes
de la bombe atomique] à Hiroshima et Nagasaki, pour qui il a été
très difficile de trouver des partenaires pour se marier car les futures épouses
craignaient d'avoir des enfants malformés, qui ont eu du mal à trouver un
emploi car les employeurs supposaient qu'ils seraient plus souvent malades, et sont
souvent devenus la cible de brimades. Il est devenu très commun de cacher le
fait que sa famille a été parmi celles exposées à la radioactivité. Beaucoup de
gens connaissent l'histoire de Sadako Sasaki, qui est décédée à l' âge de douze
ans, après avoir été exposée aux radiations de l'attaque nucléaire sur
Hiroshima dix ans plus tôt. Sadako confectionna des grues en papier plié selon
une tradition japonaise disant que quelqu'un qui plie mille grues de papier se
voit accorder la réalisation d'un souhait. L'histoire de Sadako est devenue
bien connue, et des enfants à travers le monde plient des grues en papier quand
ils apprennent son histoire, dont beaucoup sont envoyées ici à Hiroshima. Alors
que Sadako est devenue un symbole de l'innocence de tant d'hibakusha qui ont
été victimes de l'attaque nucléaire, son père a essayé de cacher ce fait afin
que sa famille ne souffre pas de discrimination, et a été contrarié que sa
fille soit devenue une si célèbre victime. Les enfants des familles évacuées de
la préfecture de Fukushima après la triple fusion des réacteurs de la centrale se
sont trouvé être les victimes de brimades dans leur nouvelles écoles. Les
voitures avec des plaques d'immatriculation de Fukushima ont été rayées lorsqu'elles stationnaient dans d'autres préfectures. C'est souvent là le résultat de
la crainte naturelle de la contamination, qui est associée à des personnes
exposées à un poison. Dans les îles Marshall, ceux qui ont été évacués de
Rongelap et d'autres atolls qui sont devenus invivables après avoir été
recouverts par les retombées radioactives de l'essai Bravo en 1954, ont eu à
vivre en tant que réfugiés sur les atolls d'autres peuples pendant plusieurs
générations maintenant. Les îles Marshall ont très peu de terres habitables, et
être ainsi déplacés dans des atolls qui appartenaient traditionnellement à
d'autres les a laissés sans accès à de la bonne terre et de bons endroits pour
la pêche et le stockage des bateaux. Ils ont eu à vivre par les bonnes grâces
de leurs nouveaux hôtes, et supporter d'être vus comme des intrus.
Un jeune garçon de Rongelap est examiné par un médecin militaire américain après avoir été exposés à des niveaux élevés de retombées radioactives lors de l' essai Bravo dans les îles Marshall le 1er mars 1954
Devenir des sujets d'études médicales - Beaucoup de gens qui ont été exposés à des
rayonnements deviennent alors l'objet d'études médicales, souvent sans
informations sur les tests auxquels ils sont soumis. Les hibakusha des attaques
nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki sont devenus les sujets d'études de la
Atomic Bomb Casualty Commission [Commission aux Victimes de la Bombe Atomique],
pendant l'occupation américaine du Japon après la Seconde Guerre mondiale.
Cette étude a continué jusqu'à ce jour, menée par la Radiation Effects Research
Fondation, devenue américano-japonaise. Durant les premiers temps de l'étude,
les hibakusha japonais n'avaient pas le choix d'être soumis ou non à des examens
médicaux. Une jeep de l'armée américaine apparaissait devant leurs
maison et ils devaient y monter pour se rendre à un examen, que ce soit le bon
moment ou pas. Ils n'ont pas reçu d'informations sur les résultats de leurs
tests. Cela s'est produit dans de nombreuses communautés touchées par la
radioactivité. En 1966, un bombardier nucléaire américain a explosé en plein
vol et ses débris sont tombés sur le petit village de Palomares, en Espagne.
Quatre bombes H sont tombées de l'avion, l'une dans la mer, et trois sur le
petit village. Aucune n'a explosé, mais deux se sont fracassées, et le
plutonium ainsi que d'autres radionucléides ont contaminé une partie de la
ville. À ce jour, quelques-uns des habitants de Palomares sont emmenés à Madrid
chaque année pour un examen médical, les effets de l'exposition sur leur santé
sont suivis. On ne leur a jamais donné aucun résultat des tests , ni information
si une quelconque maladie qu'ils développent est liée à leur exposition. Ce
sont des sujets, et non des participants à la collecte et l'évaluation des
effets des rayonnements sur leur corps. Il ne fait aucun doute que ces études
fournissent des données utiles à notre compréhension des conséquences
sanitaires de l'exposition aux rayonnements (les données elles-mêmes sont
controversées pour des raisons que je ne vais pas aborder ici), toutefois pour
ceux dont les informations sont recueillies, être étudié mais pas informé
réduit le sentiment d'intégrité et d'organisation quant au maintien de votre
propre état de santé. De nombreux insulaires du Pacifique, exposés aux radiations
par les essais nucléaires des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, connaissaient
de telles expériences où ils ont été examinés , puis renvoyés sans aucun accès
aux résultats. Beaucoup disent se sentir comme s'ils servaient à récolter des
données.
Anxiété - Souvent,
la première chose que l'ont dit à ceux qui sont exposés à un rayonnement, c'est
qu'ils n'ont rien à craindre. Leurs inquiétudes sont minimisées. La
radioactivité est une chose très abstraite et difficile à comprendre. Elle est
imperceptible - insipide, inodore, invisible - ajoutant à l'incertitude qu'ont
les gens d'avoir été exposés, à quel niveau ils ont été exposés, et si eux et
leurs proches vont souffrir d'effets sur leur santé. Le rejet de leurs
angoisses par les autorités médicales et gouvernementales ne fait qu'aggraver
leur anxiété. Lorsque d'autres membres de leur communauté développent des
problèmes de santé, comme le cancer de la thyroïde et d'autres maladies des années
plus tard, cela peut jeter une ombre sur leur propre sentiment de bien-être
pour le reste de leur vie. Chaque fois qu'ils font une poussée de fièvre,
chaque fois qu'ils éprouvent une douleur d'estomac, ont un saignement de nez et
d'autres affections courantes, cette anxiété ressurgit et ça y est pensent-ils,
finalement je suis foutu. Ces craintes s'étendent à leurs parents, leurs
enfants et autres proches. Chaque fièvre qu'ont leur enfant ravive les
horribles craintes qu'il va mourir. Sadako a été en bonne santé pendant neuf
ans après son exposition aux radiations, quand elle avait deux ans à Hiroshima.
Puis, soudain, son cou a commencé à enfler et on lui a bientôt diagnostiqué une
leucémie. C'est l'univers de cauchemar que les parents d'enfants exposés à la
radioactivité vivent au quotidien. Chaque maladie peut les déchirer leur vie.
La radiophobie et le blâme aux victimes - Comme il est fréquent que l'on ne sache pas qui est
ou n'est pas exposé à la radioactivité, en particulier à des particules
émettrices alpha absorbées, un grand nombre de personnes proches d'une
explosion nucléaire, d'un centre de production d'énergie nucléaire, d'un accident
de centrale nucléaire, d'un site d'extraction d'uranium et d'innombrables autres
sources d'exposition aux rayonnements, s'inquiètent pour leur santé et celle de
leurs proches. Parmi ce groupe, certains ont été exposés et d'autres pas.
L'incertitude fait partie du traumatisme. Souvent , comme c'est actuellement le
cas pour les gens du nord du Japon, tous ces gens sont rejetés comme ayant une peur
excessive des radiations, et on nous dit souvent que leurs problèmes de santé
sont le résultat de leurs propres angoisses. Dans certains cas, cela peut bien
être vrai, mais ce n'est pas là l'important. Pour ceux qui ont vécu une
catastrophe radiologique, qui peuvent avoir été déplacés de leurs foyers et avoir
perdu les liens et le soutient de leurs communautés, qui sont incertains quant
à savoir si chaque grippe ou douleur d'estomac est le signe avant-coureur de la
fin, et qui ne peuvent pas être sûrs que la contamination par des particules
émettrices alpha difficiles à détecter est encore possible lorsque leurs
enfants jouent dans le parc, l'anxiété est leur réaction naturelle. Même si
cela cause des problèmes de santé, ce n'est pas de leur faute : des forces en
dehors de leur contrôle ont bouleversé leur vie et ils doivent maintenant vivre
une vie d'incertitude et sont souvent victimes de discrimination. Bien sûr, ils
vont souffrir de l'inquiétude que cette situation produit. Les blâmer pour cela
revient à blâmer les victimes de cette situation, et c'est une forme supplémentaire
de traumatisme.
Le monument aux victimes du nucléaire à Semey, Kazakhstan.
Conclusions - La radioactivité rend
les gens invisibles. Elle en fait des citoyens de seconde classe qui n'ont plus
l'espoir d'être traités avec dignité par leur gouvernement, par ceux qui
surveillent les installations nucléaires près d'eux, par l'armée et l'industrie
nucléaire qui se livrent à des pratiques qui exposent les personnes aux
radiations, et souvent par leur nouveaux voisins quand ils deviennent des
réfugiés. Les personnes exposées à la radioactivité perdent souvent leurs
maisons, soit par leur abandon forcé ou par la contamination qui en rend l'habitation
dangereuse. Ils perdent leurs moyens de subsistance, leur mode d'alimentation,
leurs communautés et leurs traditions. Ils peuvent perdre la base de
connaissances qui les relie à leur terre et assure leur bien-être. La radioactivité
peut causer des problèmes de santé et la mort, et même quand ce n'est pas le
cas, elle peut causer des états d'anxiété et d'incertitude dévastateurs, qui
peuvent devenir invalidants. Souvent ceux qui sont exposés à des radiations
sont blâmés pour tous les problèmes qui suivent leur exposition. Après une
catastrophe nucléaire, nous comptons les victimes en dénombrant ceux qui sont
morts, mais ils ne représentent seulement qu'une petite fraction des individus qui sont réellement victimisés par l'accident. D'innombrables autres souffrent de la
destruction de leurs communautés, de leurs familles, et leur bien-être. La
dévastation qu'une catastrophe nucléaire sème vraiment est inconcevable.
Laviedeceux qui sont exposésà des radiations,ou qui se trouvent dans les zonestouchéespar la radioactivité mais ne sont pas sûrs de leurs expositions, ne
sera plus jamais lamême. Comme
l'a ditNataliaManzurova,
l'un des «liquidateurs»de Tchernobyldans un entretien publiédeux mois après
latriple fusion des réacteurs deFukushima : "Leurs vies serontdivisées en deux parties : avant et aprèsFukushima. Ilss'inquièteront
de leursanté etcelle de leursenfants.Le gouvernementva probablementdire qu'il n'yavait pas beaucoup deradioactivitéet qu'ellene leur a pas porté préjudice.Etle gouvernementne les indemnisera probablement paspour tout
ce qu'ilsont perdu. Cequ'ils ont perdune peut êtrecalculé."
Cet article, initialement publié en
anglais par SimplyInfo, est un condensé tiré d'unchapitre du manuscrit d'unlivre en
préparation surle travail duProjet Mondial
Hibakusha,par le DrRobertJacobset le DrMickBroderick. Traduction par mes soins avec leur autorisation.
Vous pouvez en complément voir ou revoir cette vidéo que j'ai traduite en octobre 2012, réalisée lors de sa participation à une table ronde au Kazakhstan, où il s'exprime sur les causes des fusions des réacteurs de Fukushima Daiichi et les dommages connus pour avoir eu lieu avant le tsunami :
Vous pouvez également visionner cette vidéo de Fairewinds, où Arnie gundersen nous parle des vraies victimes de la triple fusion des réacteurs de Fukushima Daiichi, qui sont devenues invisibles aux yeux des fournisseurs d'énergie électrique du Japon :
Et aux dernières nouvelles, il semble que même mortes, les victimes du nucléaire continuent de disparaître du champ de la réalité. Continuent, car ceux qui cherchent à se documenter de manière impartiale sur le nucléaire savent bien que ce n'est en rien une nouveauté. Il n'y a qu'à se souvenir entre autres de la catastrophe de Mayak, cachée au reste du monde pendant des années, et aux chiffres officiels des victimes de Tchernobyl, ridiculement et criminellement bas. Plus récemment, on peut se remémorer cette vidéo, où il est question de la mort d'un ou probablement plusieurs sauveteurs se portant au secours des victimes du séisme et du tsunami de mars 2011, décès jamais confirmé(s) officiellement par le Japon.
Cette fois, c'est une courageuse journaliste indépendante japonaise, Mme Mako Oshidori, qui nous révèle lors d'une conférence internationale sur les effets des catastrophes nucléaires sur l'environnement naturel et la santé humaine, qui s'est tenue non loin de Francfort le 6 mars 2014, que le décès de nombre de travailleurs ou ex-travailleurs du site de Fukushima Daiichi aurait été passé sous silence par TEPCO et le gouvernement japonais. Je vous invite à lire à ce sujet cette traduction française par le groupe Facebook "Fukushima informations" de l'article original en anglais par NSNBC International.
~ ☢ ~
Je termine cet article avec une chanson, que son auteur Zedvan vient de me signaler. Écoutez et regardez. J'espère qu'ainsi, au moins l'un de ces invisibles ne disparaîtra pas définitivement dans le non-su et dans l'oubli, mais qu'au contraire il existera dans quelques consciences de plus, petite lumière fragile et vascillante. Puissent-elles éclairer nos chemins à venir, et ceux de nos enfants. Je laisse la parole à Zedvan :
"Depuis trois ans, la centrale nucléaire détruite de Fukushima-Daiichi vomit ses radiations dans la terre du Japon et l'océan Pacifique. On en parle un peu, parce que c'est l'anniversaire, et puis après, plus rien...
Chanteur français, citoyen du monde, je ne me résous pas à ce silence. Pas plus qu'aux pertes irrémédiables que l'industrie nucléaire inflige et risque encore d'infliger à la planète et à l'humanité.
Le 13 avril 2011, au lendemain de l'annonce par le gouvernement japonais de l'évacuation d'Iitate (Province de Soma, District de Fukushima), Fumio Okubo, le doyen du village, âgé de 102 ans, a préféré se suicider plutôt que de quitter sa maison. "Fukushima, chanson du doyen d'Iitate", tente de donner la parole à cet homme.
Je mets aujourd'hui en ligne une vidéo illustrant cette chanson : "Fukushima, chanson du doyen d'Iitate", extrait de l'album 'La zébritude' (LRDJ/Absilone, octobre 2013)
Une version sous-titrée en anglais (http://youtu.be/lFG9CxPXK_E) et une en japonais (http://youtu.be/2pLs9BvTKMA) sont également disponibles. D'autres traductions suivront, très bientôt : ce que le Japon a perdu, nous l'avons tous perdu.
N'hésitez pas à diffuser ces vidéos autour de vous.
(Version française ici) - (Sorry for mistakes, English is not my mother language...)
To the workers of Fukushima.
The first to intervene at the most terrible moments of the nuclear disaster.
Those who - day after day - are up against
an ever-worsening situation.
Those who will have to replace them
for many years to come.
To their families and loved ones.
This is a message of gratitude and sympathy from France.
You may not be able to rely on your employers or your political leaders to treat you properly, but this doesn’t mean you are alone, iscredited, facing the hard to overcome problems you have to deal with.
This may only be a meagre consolation to you, but many thousands of kilometers away, complete strangers, ordinary citizens like you are thinking of you and are grateful for your courage and your dedication.
You are important people who deserve every respect, given the responsibilities you are constantly shouldering and what you are accomplishing, without recognition or reward.
One can't blame the worker who unplugged the wrong pipe, pressed the wrong button or caused a tank to overflow, because of a lack of training, precise instructions and means of control.
One can't blame the worker who falls into depression when he is confronted by difficult working conditions that endanger his health and his life?
There are probably, throughout the world, thousands if not millions of people like us who are on your side and count on you, who offer you their trust and moral support, and who don’t forget you exist.
We don’t know you personally, but like you, we are human beings and citizens of the Earth. We are aware of your difficult position, we cannot do much to help you, but we want to say thank you for what you do, thank you for the risks you are taking for us all. You have our heartfelt support.
Thank you, "Fukushima 50" and all the brave people who from the very beginning of the disaster did not hesitate to risk their lives to prevent an even more dire situation.
Thank you to all these people whose name will never get mentioned but who contribute each day to the colossal task of keeping the radioactive peril at the Fukushima plant in check.
May our moral support and our thoughts reach you, your families, and the loved ones of the victims who have lost their health and their lives in this battle.
~ ☢ ~
Here is this same text in PDF, translated into several languages. My goal is that the Japanese message can reach some Fukushima workers. Post this text, pass it on, so it has a chance to reach its recipients. (Please share the links below, not the files themselves or their direct links, so I can keep visibility on their attendance.)
The title of this article, "Full Tyvek Jacket", probably reminds something to many of you. This is not coincidence.
Tyvek is a material made from non-woven polyethylene fibres, a fortuitous discovery of the DuPont company in the 1950s. It is the constituent of white or sometimes blue protective suits, intended to be worn by all the workers involved on the Fukushima Daiichi site and decontamination sites in controled areas. This type of combination is widely used in many industrial or craft activities as disposable protective clothing against dirt.
For what concernsus, theythereforemainlyprotectworkersfromcontaminationbyradioactivedust. Butabsolutelynotagainstpenetratingradiation, gammaraysorneutronsbeams. Against these risks you shouldhaveleadortungstenbasedcomposites, usedforexample at ChernobylorFukushima, bysomeveryexposedstakeholdersduringthecleaning workonthereactor 3 building.
They do not protecteither against riskcaused by faultyadjustment of allprotective elementsof the outfit,due tomissing or insufficientinstructions, or inadequate equipment parts. Berememberedforexampleof the workersirradiatedinMarch2011inthereactor3 building unit flooded with highlycontaminatedwater theywaded, havingseepedbetweentheirlowbootsandtheill-fittingoutfit. On the other hand, it should be notedthat"forphotos",wheretheircolleagueshidingthembehindatarpduringtheirevacuationtoreceivecare, everyoneseemswellsealedandstuckaround. Oralmost...
So
here is the only armor against radiation available to the vast majority
of workers in Fukushima: polyethylene overalls. Full tyvek jacket ...
Russia Todayrecently published ashort reportonthe conditions of workersincharge of the post-Fukushima rehabilitation work.Hereit is with French subtittles. It includesTomohikoSuzuki,the courageousinvestigativejournalistwho workedclandestinely inFukushimafor a monthand a halfduringthe summer of 2011, and has publisheda book titled "The Yakuzaand the nuclear industry."
Although a bitlong, I suggest you to look at the followingconference held in December 2011,in whichMr.Suzukidescribeshis experience atthe Fukushima plant, withsomephotos andvideo footage takenon the spot.The two mainthemes are: -Thestate of the plant, despite the official declarationof "cold shutdown," therisks toworkers andthe shortcomings ofTEPCOandtheJapanesegovernment. -Involvementfor manyyearsof the Yakuzamafiaorganizationsin theJapanesenuclear industry.
Now here isthe testimony ofsome Fukushima workers who contactedthe ZDF (German TV) studiosin Tokyo in October2011:"Thosethat are oftencalledheroes,those who do thecleaning,gave theirversion of theirsevere work conditionswithout having anyrealideaof radioactivity doses there.Even if nucleardisaster isout of theheadofmost people, for thosewho work there, it continues..." (German & French language only)
Here is a French video by BFMTV, published in March, 2013: "They are sometimes called liquidators, they are the workers at the Fukushima plant in Japan. Two years after the nuclear disaster, they are still likely to work on the site, in harsh conditions. In their white overalls, mask face, they are 3,600 working night and day to stabilize the damaged power plant. "
The months and years pass, very little change. Now back to more than 40 years ago, with the uplifting documentary by N. Röhl, "Nuclear Ginza", where he gives the word to several victims, sent to be irradiated without protection or training in the most dangerous areas, and to the parents of a less than 30 years worker, who died. I've already posted an article there about that one year ago. If not already done, go read it, review this video. This is also the nuclear world, in the beautiful nation of Japan, moving towards a bright future ...
Here is now the testimony of a reader, Satoko, that she send me in English after the original publication of this article, and allowed me to reproduce here:
"My parents who live a small town facing pacific in Hokkaido, Japan, once had an opportunity to host a homeless person in their house. He was looking for a one night shelter in the small town in Hokkaido with no money. The old man used to be working in various power plants in Japan and when he would reach his maximum annual dose of radiation he would leave the site and start travel around Japan. He ended up in Hokkaido at that time after working somewhere and found himself with no money. After one night he left for Aomori, the northern tip of Honshu island, with some money my father gave for train fare. I suppose many workers have been living like the man, working in various power plants sites in Japan since the very beginning of Japan's nuclear history. They are not the people who are rightly protected and well paid for their dangerous nature of the work. It is the shadow of the nuclear history of Japan and I am glad you mentioned about them in your blog! I just asks my mother who is now with us about the old guy they hosted. Apparently the man came to the local catholic church to look for a shelter, which means he knew very well that religious temples and churches were likely to give money or shelter for him. But people in the church didn't do so and called my father to deal with him (my parents are catholic). My father took him to the house and offered one night shelter, with dinner and drinks and bath. My mother says they have already hosted many people (mostly hitchhiker on the streets) at their place so didn't surprise her that time, too. My father is really a strange kind…. The man said that he had an apartment in Tokyo, but they didn't buy the story, as well as his claim that his money had been stolen. He would stay in one place and work, earn money, and hitchhike all around Japan. I think many construction workers are temporary sub contractors, and sometimes employers give food and shelter (of course they cost money, subtracted from the daily pay) for those in need. The man my parents hosted was probably one of those workers. Now I have seen some advertisement for recruiting workers and they are like 13,000 yen a day, but I don't think it it true. Workers usually have to pay for contractors fees, a bed and food, even for the health check ( I read it in the article I posted in the FB page). At last the money they receive should be much lower than the advertised. I remembered the story somehow because it happened after 3.11. It was kind of interesting".
I think it would be unfair not to mention also those which are often early in the frontline of disasters, the firefighters, and the military. Certainly, they are more likely to chose their profession without being picked up in some shallows by the Yakuza. But whether in Ukraine or Japan, how many of them paid with their lives for their willingness to fight a battle in which they were not prepared, and brought relief to others? We'll never know, it's not in the interest of any government or authority to recognize and disclose exactly such kind of things when it comes to nuclear power.
However, here is a testimony about the death of a member of the special rescue unit of firefighters, who has not been officially confirmed or reported in the mainstream media. It includes Taro Yamamoto, who had not yet paid policy. Since that, some also tries to make him pay a high price for the truths he tries to highlight ...
Here is also an American channel PBS documentary, "Inside Fukushima's meltdowns", in English, which pays tribute to these brave men.
The English transcript is available following this link.
It seems difficult for me to finish this article, yet dedicated to the workers of Fukushima, without a mention to France. Can we think that in France, the situation of nuclear workers is better? In france, it's not the mafia that provides all-comers intermittent to nuclear industry. And here, no Fukushima-like disaster yet. But there is much more to say on the subject, which deserves a specific article.
Here are just "The nuclear convicts", a photo-montage made in August 2011, based on pictures by Vincent Capman. He also worked with men he photographed in Cattenom and Paluel French NPP in 2008 and 2009. He shared their lives, their workdays, their rest periods.
One last question : Is it what you want for your children too, "full tyvek jacket" ?
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To come back to themessage forthe workers, I would be very happythat other peopleor other groupstook up thisidea,andalsoexpress their support forthose fightingon thebattlefield ofFukushima,for all of us.Postthis messageon your website orblog,please contact usto translate it intoother languages andfor inclusion inthe list ofparticipants. Writeyour own support message if you prefer,and distributeit as well. You can also writea traditionalletter, here is the mailing address of the"rear base" of workers atJ-Village.It featuresJapanese mention "To the Fukushimaworkers". The easiest wayisprobablyto print it directlyorstick it onthe envelope.
Don't forget that the majority ofrecipientsonly readJapanese.Butthere aredrawings, symbols, whichdo not needtounderstand a foreign language.
Fukushima Revitalization
Headquarters at J-Village 8, Utsukushi-mori, Yamada-oka
aza Naraha-machi oaza, Futaba-gun 979-0513, Fukushima Japan Please Check withyourlocal post officeforpostage fees. Ifwemultiplyenoughand relaythis movementof fraternal support, if enough mediatoecho,thenmaybethis will encourageJapanto make a movefor thesebrave men. One can always dream...