mercredi 18 mars 2015

La seconde jeunesse de la dissuasion nucléaire

L'article qui suit n'est pas de moi, mais de Jacques Hubert-Rodier, éditorialiste aux « Echos ». Et c'est la liste de diffusion du réseau Sortir du nucléaire qui me l'a fait connaître. Je me dis que parmi mes lecteurs, quelques-un découvriront peut-être ici ces lignes, et le sujet me semble important.

J'aimerais vous suggérer aussi quelques questions supplémentaires, en contrepoint des justifications officielles de nos dirigeants et têtes pensantes dans le monde :
  • Que valent vraiment les motifs rebattus d'équilibre des forces, d'assurance de la sécurité nationale, etc ?
  • Quels marchés, quelles mannes financières le maintient ou l'amélioration d'une "force de dissuasion nucléaire" entretiennent-ils, de la fabrication à la maintenance en passant par les tests et le démantèlement ?
  • Quelles sommes sont en jeu ? D'où vient cet argent, dans quelles poches tombe-t-il ?
  • Quels avantages pour les populations, vous et moi, l'humanité, aujourd'hui et demain ?
  • Avant de parler de pertes d'emplois ou économiques, tous les gens percevant un salaire pour leurs activités professionnelles dans les domaines ci-dessus refuseraient-ils absolument d'être payés pour exercer dans un autre secteur d'activités ? Qui, par idéologie, exige de ne travailler que pour le nucléaire ?
  • Quand et comment avez-vous votre mot à dire sur le sujet ?
  • Mentir sciemment à ses électeurs et citoyens au plus haut niveau des états est-il obligatoire ? Acceptable ? Pardonnable ? Oubliable ?

Je vous laisse en trouver d'autres, et vous forger vos propres réponses.

Bonne lecture, Kna.


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La seconde jeunesse de la dissuasion nucléaire



Illustration de Pinel, pour « Les Echos »

En dépit d'un changement radical de la nature des conflits, la dissuasion nucléaire reste un pilier de la géopolitique. Vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide, les pays « dotés » ont entrepris de moderniser leurs armes atomiques.

A peine arrivé à la Maison-Blanche en 2009, Barack Obama a fait un rêve : il promettait de « rechercher la paix et la sécurité dans un monde sans armes nucléaires ». Même s'il doutait que cet objectif soit atteint de son vivant, le président voulait au moins avancer sur la voie d'un désarmement nucléaire. En pleine guerre froide, en 1981, Ronald Reagan, lui aussi, « rêvait du jour où les armes nucléaires seront bannies de la surface de la terre ». La guerre froide finie, l'élimination des armes nucléaires pouvait devenir l'une des plus importantes initiatives des trois premières décennies du XXIe siècle. Las, cette idée est parvenue « à une fin brutale et sans bruit », selon les mots de Michael Krepon, cofondateur du Stimson Center, un think tank de Washington. Des projets lancés au début du siècle comme « global zero » - une initiative soutenue par des centaines de dirigeants dont de nombreux Américains - envisageaient non plus seulement de réduire les stocks d'armes nucléaires, comme les États-Unis et la Russie s'étaient engagés à le faire depuis le début des années 1990 ou encore la France et le Royaume-Uni, mais de parvenir à leur élimination à l'horizon 2030. Sans aller encore jusque-là, le « Nouveau Traité de réduction des armes stratégiques » (New Start) conclu en 2010 entre les États-Unis et la Russie n'autorisait pour chaque pays qu'un nombre limité de 1.550 têtes nucléaires stratégiques. Largement de quoi faire sauter la planète plusieurs fois. Mais une tendance pouvait se dessiner avec l'espoir que les négociations se poursuivent entre les deux pays. Face à une asymétrie des conflits dans le monde et à des mouvements non étatiques, on pouvait à juste titre s'interroger sur le maintien d'une arme de destruction massive et sur sa capacité à faire peur. Pouvait-elle dissuader Al Qaida de lancer une attaque contre les deux tours jumelles de New York et le Pentagone ? Ou l'Etat islamique de s'emparer de Mossoul ? A quoi peut servir le concept de dissuasion, qui devait équilibrer par la peur du feu suprême les deux grandes puissances de la guerre froide, face à des entités non étatiques ? De plus, contrairement aux craintes des années 1980, la prolifération tant redoutée ne s'est pas produite et le monde n'a pas basculé dans l'apocalypse nucléaire. Depuis le dimanche 15 mars, l'Iran, suspecté de vouloir se doter de l'arme ultime, a repris le chemin de la Suisse pour un nouveau round de négociations avec les 5 membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France) plus l'Allemagne. Avec comme objectif de boucler avant le 31 mars un accord politique et de régler tous les détails techniques d'ici au 30 juin. Ce qui devrait permettre à l'Iran de poursuivre un programme nucléaire civil d'enrichissement, mais l'empêcher de développer une bombe et éviter ainsi une crise de prolifération. Seuls neuf pays sont aujourd'hui dotés de l'arme nucléaire : les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, ainsi que l'Inde, le Pakistan et la Corée du Nord, qui ont procédé à des essais. Sans l'annoncer publiquement, Israël a développé depuis les années 1950 son programme nucléaire militaire. En revanche, l'Afrique du Sud a décidé de démanteler son arsenal en 1991, tandis que l'Argentine et le Brésil ont comme la Suisse renoncé à développer un programme nucléaire. Après l'implosion de l'Union soviétique, l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan ont accepté, non sans difficulté, de renoncer à l'arsenal sur leur territoire et de laisser la Russie seule héritière de la puissance nucléaire de feue l'URSS, en échange de garanties de sécurité et d'une aide économique. Tout cela pouvait ouvrir enfin la voie à un désarmement.

Pourtant, vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide, le monde fait machine arrière et entre dans ce qui apparaît comme un deuxième âge nucléaire post-guerre froide. Depuis le début de la guerre en Ukraine et l'annexion de la Crimée, Vladimir Poutine n'a cessé d'agiter le spectre de la destruction en rappelant à plusieurs reprises que son pays était une puissance nucléaire et en mettant en alerte les forces nucléaires russes au moment de l'annexion de la Crimée.

Les États-Unis se sont lancés dans un programme de modernisation de leurs forces, comme le Royaume-Uni pourrait se préparer à le faire, à l'image de la France. Et la Chine continue de renforcer son arsenal. Quant aux négociations sur le New Start, elles sont au point mort. Et il est peu probable que la neuvième conférence du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), qui se tient tous les cinq ans et qui aura lieu à la fin du mois d'avril, parvienne à des « résultats tangibles » pour renforcer les trois piliers du traité (désarmement, anti-prolifération et utilisation pacifique de l'atome), comme l'a souhaité l'Algérie, qui en assure la présidence tournante. Le TNP est pourtant devenu un accord quasi universel ratifié par tous les pays membres de l'ONU (189 pays sur 193), à l'exception de l'Inde, du Pakistan, d'Israël. La Corée du Nord s'en est retirée en 2003. Mais, paradoxalement, en dépit du mirage qu'elle représente dans les conflits asymétriques, l'arme nucléaire garde deux intérêts : celui de mettre au même niveau le faible par rapport au fort et de rester un symbole du statut international d'un pays. Difficile d'imaginer la France tenir tête aux États-Unis en 2003 contre la guerre en Irak si elle n'était pas une puissance dotée, estime Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Et il est peu probable qu'elle disparaisse des arsenaux militaires dans les prochaines années.

Jacques Hubert-Rodier
Editorialiste aux « Echos »

Source : les Echos      (18/3/2015)
http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0204211948486-la-seconde-jeunesse-de-la-dissuasion-nucleaire-1103030.php
 

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